jeudi 22 octobre 2015

La langue française, parlée avec un accent anglophone au Québec



Au début de la vingtaine, je commençais à prendre beaucoup plus au sérieux mes études du français. À l’époque, c’était surtout dans l’idée de l’utiliser dans plusieurs pays comme langue véhiculaire. Plus tard, j’avais l’intention de continuer à m’en servir dans ma vie quotidienne. Étant donné que j’ai grandi aux États-Unis, je croyais qu’un déménagement au Québec serait idéal, surtout dans une ville comme Montréal.

Alors, je suis venu à Montréal en 2009. J’avais une amie de Saint-Bruno, sur la rive-sud de Montréal, qui fréquentait le groupe de conversation française à Minneapolis. Elle avait des problèmes dans sa vie personnelle et a décidé de rentrer au Québec vers le temps où j’y suis allé. C’est ainsi qu’elle est venue me chercher à l’aéroport. Je restais avec elle et sa colocataire (une de ses amies d’enfance) pendant deux semaines jusqu’à ce que j’aie trouvé du logement. Tout de suite, elle insistait pour qu’on se parle en anglais parce qu’elle ne voulait pas perdre ce qu’elle avait acquis aux États-Unis.

Cela m’a énervé énormément, mais je ne pouvais trop le montrer, car elle me dépannait lors de mon arrivée au Québec. Mon but principal, à part m’établir et trouver un emploi, c’était de parler français aussi souvent que possible, comme je faisais chez moi avec l’anglais. J’ai bientôt découvert que ce ne serait pas possible, non seulement à cause de ma formation aux États-Unis, mais aussi en raison de mon expérience professionnelle en tant que rédacteur en anglais—ce qui veut dire que, par défaut, mon anglais écrit sera toujours un peu plus fluide et sortira plus facilement que mon français. D’ailleurs, l’attirance mondiale de l’anglais est si forte. Tout le monde veut le parler parfaitement car c’est si merveilleusement international.

Je peux accepter que mon accent et mon français écrit ne soient jamais aussi bons que leur équivalent en anglais, mais cela ne m’empêche pas de vouloir parler en français aussi souvent que possible. Et puis, un bon matin, je serai capable de réfléchir et de concevoir mes pensées en français, ainsi que de rêver dans cette langue (à la manière qu’un non-anglophone prétend le faire après un long séjour aux États-Unis ou ailleurs dans la sphère anglophone). Inventer des idées et des concepts par le biais du français ouvrira les vannes dans mon esprit aux idées non harnachées que d’autres langues ne peuvent permettre. Je crois que chaque langue est porteuse d’une vision du monde qui permet certaines idées de se manifester. Il n’y a pas une langue commune porteuse de toute conception de l’esprit humain, peu importe sa polyvalence selon certaines personnes.

Tout cela était l’objet des frictions entre moi et mon amie. Elle m’a dit qu’elle aimait le Québec et que ses penchants au niveau de vote demeuraient du côté de la souveraineté – or, son état d’esprit bizarre face à l’anglais s’est maintenu. Ce n’était pas assez de le parler couramment. Si elle oubliait le moindre mot ou expression, l’horreur que cela lui faisait vivre lui faisait dire : « Tu vois ? Je perds mon anglais et j’ai travaillé si fort pour l’acquérir ! ».

D’accord, je peux comprendre son point de vue. Je me suis battu contre vents et marées pour tenter d’apprendre le français dans un petit village ouest-africain plurilingue, dans la France d’aujourd’hui, mondialisée et urbaine ou quand je vivais aux États-Unis. Mais je savais que c’est normal d’oublier certaines choses si l’on ne parle pas cette langue tous les jours ou si l’on vit dans un endroit où une autre langue s’utilise. Il ne faut qu’un effort supplémentaire afin de la maintenir. Pour ma part, j’allais à une rencontre de conversation française tous les samedis, j’écoutais des films francophones et je lisais des livres en français, tout en étudiant de nouveaux vocabulaires ici et là.

À part cela, ce qui restait de ma vie se faisait en anglais, principalement parce qu’on n’a pas le choix : chez les anglophones, ils ne parlent que l’anglais. En plus de cela, si l’environnement est anglophone, on s’attend rarement à ce que tout le monde parle une autre langue. On fait le contraire au Québec. Parler le français ne suffit pas. Quand l’occasion de parler l’anglais se présente, on s’y lance, même si l’autre personne désire pratiquer son français.

On a même déploré mon insistance à parler français en tout temps. On disait que c’était égoïste de ma part, qu’on a besoin de parler l’anglais au moins 50% du temps afin de s’enrichir l’un l’autre. On me dit cela chez les Québécois. Ne se rendent-ils pas compte qu’en dehors du Québec, personne ne leur dira – « Là là, tu dois me parler en français car c’est ton devoir de m’aider à pratiquer si tu t’attends au même traitement de ma part. » À l’extérieur du Québec, les gens vaquent à leurs occupations dans leur propre langue. Ainsi, si son but est d’améliorer notre anglais, c’est fort possible dans le contexte d’un pays anglophone.

Au Québec, du moins à Montréal, les gens ne font pas cela, au contraire. On m’a dit de quitter Montréal si je voulais seulement parler en français. D’abord et avant tout, si je faisais cela, c’est difficile de trouver un endroit au Québec où on s’exprime en français seulement. En Estrie, il y a une université anglophone et des tas des gens prêts à switcher la langue dès qu’ils entendent un accent. À Québec, même si c’est vrai qu’il y a des gens qui ne parlent pas anglais (et normalement ils disent cela comme si c’était la plus grande honte sur terre), c’est loin d’être seulement en français à Québec. En Outaouais, c’est très bilingue aussi. Il y a des anglophones en Gaspésie. Très franchement, c’est rare d’être « forcé » à utiliser la langue française.

Deuxièmement, la région montréalaise englobe la moitié de la population québécoise. Si la région métropolitaine se «  bilinguise » (ce qui signifie angliciser), à quel effet doit-on s’attendre sur le reste du Québec ? En plus, pourquoi la plus grande ville de la nation doit-elle être bilingue au niveau institutionnel ? Être bilingue devrait demeurer un choix personnel et non une exigence afin de faire quoi que ce soit au Québec. Dans une ville comme Oslo, la grande majorité parle bien l’anglais, mais il n’y a pas un discours prédominant visant à rendre la ville bilingue institutionnellement.

Peut-être qu’on pourrait dire qu’il n’y a pas de communauté historique anglophone en Norvège, alors que c’est le cas à Montréal, et c’est pourquoi cette ville doit être bilingue. Que dirait-on de Sudbury ou de Moncton ? Ces villes n’avaient-elles pas aussi des minorités francophones ? Au niveau des affaires courantes (et non dans une statistique quelconque du gouvernement canadien), ces villes fonctionnent en anglais, en dépit de ces communautés. La capitale canadienne, Ottawa, est en réalité une ville anglophone avec quelques francophones bilingues éparpillés ici et là. Parler français dans les rue et dans les magasins, et on vous dira d’aller au Québec pour cette langue !

Mais revenons à Montréal. J’étais frappé de voir à quel point le centre-ville est anglicisé. C’est sûrement dû aux deux universités anglophones situées en plein centre-ville ainsi qu’à la population de l’Ouest-de-l’Île (je n’étais pas au courant que celle-ci n’était pas bilingue, mais remplie d’anglophones unilingues). Je suis allé à la piscine du YMCA sur Peel et Maisonneuve et seulement les services de base étaient en français. Essayer de parler de quelque chose d’un peu plus compliquer que « bonjour » et « merci » (tel qu’avoir la bonne adresse sur son permis de conduire ou obtenir les heures de fermeture de la piscine) et ils répondent neuf fois sur dix en anglais. Demander qu’on vous répondre en français et il se peut qu’ils refusent, dépendamment de leur humeur. Une fois, il y avait un immigrant d’Haïti ou d’Afrique francophone qui refusait de me parler en français, et s’est montré très bête face à mon insistance. Il était probablement entiché de l’anglais et s’est dit qu’il parlerait seulement cette langue, comme j’avais beaucoup remarqué à Montréal. Mais il ne l’avouera jamais. Finalement, on a trouvé une dame québécoise d’âge mûr (la seule qui travaillait là-bas) pour me dire de m’en aller, mais au moins, elle l’a fait en français.

Imaginez maintenant que quelqu’un demandait qu’on lui réponde en français, avec le même accent que le mien. Croyez-vous qu’on le ferait ? Je ne sais pas lesquels sont les plus difficiles là-dessus, les anglophones de vieille souche ou les immigrants de deuxième et de troisième génération qui, malgré la loi 101, persistent dans leur habitude de me parler en anglais, même si leur français est meilleur.

Qui aurait cru que l’environnement linguistique pourrait être si compliqué ? Pourquoi les anglophones et les allophones ne s’intéressent-ils pas davantage au Québec et à sa langue ? Pourquoi sont-ils si fermés sur eux-mêmes ?

Plus important encore : pourquoi les francophones, surtout ceux à Montréal, ne sont-ils pas à l’aise avec leur langue de la même manière que leurs concitoyens anglophones ? Je suis pas mal sûr de savoir pourquoi, et vous ?

mercredi 7 octobre 2015

Que fais-je au Québec ?



Je suis né dans un petit village aux États-Unis. J’imagine que j’avais une vie assez typique nord-américaine. Pour faire court, j’irai droit à l’essentiel. Après l’école secondaire, je suis déménagé en ville pour faire mes études. Je ne savais pas vraiment en quoi, comme beaucoup de monde sans direction. J’avais une vague idée de faire quelque chose en rédaction, largement à cause de l’encouragement d’une professeure qu’à l’époque, j’estimais beaucoup.

Lorsque j’étais étudiant à l’université, je ne parlais pas encore français. Je l’ai étudié un peu à l’école secondaire, mais c’était surtout parce que je ne voulais pas suivre des cours d’espagnol comme tout le monde. J’ai donc choisi d’apprendre le français pour être différent à cet âge-là.

Pour revenir à mes années universitaires, j’avais une conception romantique des voyages que font les routards en Europe. Je voulais vivre le cliché bohème et voyager de pays en pays. À 20 ans, je n’avais pas la moindre idée que ce n’était pas original du tout. Je crois maintenant que l’idée de s’endetter afin de passer quelques mois en Europe vient des films et autres émissions de télé qui idéalisent ces voyages. Je n’avais aucune idée que je rencontrerais des dizaines de personnes, tout aussi peu originales que moi, dans les auberges de jeunesse, dans les bars, dans les autobus, dans les trains, dans les rues. Et moi qui croyais être unique ! Tout le monde parlait anglais et tout avait des apparences nord-américaines. Au fond, je me suis rendu compte que la mondialisation était en train de tout rendre pareil. Aussi, j’avais honte de n’être capable que de parler anglais.

Ensuite, j’ai décidé d’intégrer mon étude du français à mon horaire étudiant. Je me suis dit que j’allais apprendre le français dans l’idée d’aller vivre et travailler en Afrique francophone. C’est aussi à ce moment que j’ai commencé à m’intéresser à la francophonie hors de l’Hexagone. Je voulais aller au-delà des banalités du genre Jean-Paul Sartre qui résout les problèmes du monde au café parisien des Deux-Mégots.

À l’époque, mon intérêt pour le français reposait surtout sur le fait qu’il était parlé dans plusieurs pays et sur plusieurs continents. Ceci m’a mené en Mauritanie en 2004. J’y ai passé deux ans dans un petit village. Les gens y parlaient le Wolof, le Hassaniya et le français (pas tout le monde, car ce n’est pas tout le monde qui va à l’école). Ensuite, j’ai travaillé un an à Lyon en France. Pendant ces trois années passées à l’étranger, j’ai décidé d’entreprendre un projet ambitieux : émigrer des Etats-Unis vers le Québec. L’idée de vivre en français en Amérique du Nord m’a beaucoup attiré dès le départ. Je suis venu au Québec afin de faire partie de qui n’est rien de moins qu’un projet extraordinaire. En plein époque de mondialisation, je voulais vivre différemment. Ce n’est qu’un hasard – certes, un beau hasard – si la famille de ma mère tient aussi ses origines d’ici – mais de cela, je reparlerai une autre fois.

Pourquoi ai-je voulu venir au Québec ? Au fond, c’est parce que je trouve que les États-Unis n’ont plus d’identité qui leur soit propre, ni de culture. Oui, je sais, personne ne veut entendre cela et on me dira qu’il y a d’énormes différences entre les régions du pays. Bien sûr, ces différences existaient autrefois. Or, la manière de faire des grands centres, plus précisément la culture hégémonique de New York et de Los Angeles, a tout aplati par l’entremise des médias. Aujourd’hui, il ne nous reste plus qu’une culture de masse qui porte les mêmes valeurs et les mêmes références culturelles d’un océan à l’autre. Et ça, personne ne veut l’avouer.

Je menais une bonne vie avant. Mais je voulais quelque chose de plus. Quelque chose qui me permette de m’intégrer à un peuple en train de construire son être propre, et non de simplement reprendre quelque chose qui existe déjà ailleurs. C’est comme jeune adulte que j’ai pris connaissance de ce laminage culturel, dont les petits villages, comme le mien, et toutes les régions comprises entre Los Angeles et New York ont été victimes.

Bien sûr, le Québec n’est pas imperméable aux influences d’ailleurs, pour le meilleur et pour le pire. Mais à cause de la langue française, nous avons nos propres institutions et nos propres références culturelles. Cela favorise l’épanouissement de notre être, et confère une valeur unique à notre vision du monde. Et cela nous appartient.

Évidemment, ce qui nous appartient se partage avec les autres – les anglo-Québécois ou les nouveaux arrivants. Il ne leur faut que la volonté de s’intégrer à notre société. Le peuple québécois a créé quelque chose d’unique à son image, unique. Une société distinctement américaine, mais à nous, fer de lance d’une expression créatrice vivante et d’une richesse culturelle qui mérite d’être protégée et promue au bénéfice de tous.

Une fois arrivé au Québec, j’ai été déçu. J’ai été frappé par le fait que tout le monde voulait me parler en anglais, même si mon français est très bon. Bien sûr, j’ai un accent, mais qui n’en a pas? J’ai trouvé choquant de voir à quel point certaines personnes idéalisaient l’anglais et trouvaient que la langue française n’était pas adéquate comme véhicule d’expression des idées modernes. Dieu merci, tous ne partagent pas cet avis, mais je trouve que beaucoup de gens souffrent d’un grand complexe d’infériorité face à l’anglais. C’est très bien d’apprendre une autre langue (un euphémisme pour l’anglais), mais cela ne devrait jamais se faire aux dépens du français, la langue qui permet l’existence de la différence québécoise nord-américaine.

Les Québécois (comme les habitants de presque tous les pays) sont soumis à la culture de masse. Ils manquent de motivation, de confiance en eux. Ils se laissent bercer de l’illusion qu’ils peuvent survivre tout en restant les bras croisés, à se laisser endormir par la culture anglo-américaine de masse. Pour sûr, certains veulent que le Québec se réalise et devienne un État moderne, l’État d’un peuple instruit, dynamique et souverain, un peuple qui ose, plutôt que de devenir une attraction touristique pittoresque.

Je veux m’adresser ici à tous ceux qui ne sont pas indifférents, à tous ceux qui voient l’étincelle unique et créatrice qui anime le Québec moderne. Nous savons tous que la question nationale demeure en suspens, et qu’elle ne s’effacera pas tant qu’elle n’aura pas été réglée. En s’assimilant de plus en plus à la masse culturelle anglo-américaine, le Québec peut-il maintenir son potentiel de production intellectuelle et matérielle en terre d’Amérique ? Peut-on se bilinguiser en masse et s’attendre à ce que tout soit rose ? La question nationale requiert d’être étudiée avec plus de profondeur. On ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et les fesses de la fermière !

C’est pour explorer cette question dure (de mon point de vue d’étranger américain) et pour lutter contre l’anesthésie qui afflige nombre de Québécois que j’ai choisi de créer ce blogue.