jeudi 26 novembre 2015

Qui sont vraiment les anglophones de Montréal ?

Chercher du travail n’est jamais facile. On ne peut être aussi difficile qu’on le souhaiterait. Dans mon cas, je savais que je voulais utiliser mon français au travail. Or, le marché du travail exige un tas de compromis. Par conséquent, nous avons tendance à accepter des choses qui s’éloignent de ce qui nous est le plus adapté. Et moi, je n’y fais pas exception ! Pendant quelques années, j’ai travaillé pour une grosse multinationale à Ville-St-Laurent, avec des collègues à 80% anglophones. C’est vrai que cela me dérangeait, car je n’étais pas venu au Québec pour finir dans un environnement tout à fait semblable à celui que j’avais quitté aux États-Unis.

J’imagine qu’on trouverait cela normal, vu le contexte, que cet ancien environnement de travail fût si anglophone, l’anglais étant la langue de la documentation que nous rédigions. Très souvent, j’allais au travail à contrecœur, souvent troublé que mon projet échouât au Québec, parce que tout le monde autour de moi parlait en anglais tous les jours. De mauvaise grâce, je me demandais : « Que fais-je ? Pourquoi suis-je venu ici ? J’aurais tout aussi bien pu rester aux États-Unis, où j’étais bien à l’aise (ou en Ontario, au Manitoba, au Texas ou n’importe où…). »

À un niveau plus terre-à-terre, c’était bizarre d’entendre tous ces anglophones appeler le pont Champlain the Champlaine Bridge ou l’Île-des-Sœurs Nun’s Island. Je me demande si tout a un deuxième nom au Canada anglais ou aux États-Unis. Les francophones diraient-ils : « nous allons au lac des bois » ? Je suis sûr qu’ils diraient Lake of the Woods dans une phrase en français, même s’il y a aussi des noms propres en français ! De même que Yonge Street à Toronto, au lieu de la rue Yonge. Crisse, quand ils parlent de Mexico, ils disent : Mexico City !

À un niveau plus complexe, du fait que je parlais la même langue que mes collègues anglophones, avec le même accent, et que je possédais toutes les mêmes références culturelles qu’eux, mes collègues canadiens anglophones croyaient que je faisais partie de leur groupe et donc, que j’embrassais leur vision du monde. Ainsi, ils parlaient très librement avec et devant moi au sujet des Québécois, genre : « Anne-Sophie est si conne et elle fait tellement d’erreurs en anglais ! » ou « les Québécois sont racistes ! » ou encore « Pauline Marois est une grosse plotte d’enfer qui devrait mourir… ». Il fut un temps où l’un d’eux avait affiché un énorme drapeau canadien aux murs du bureau. Quand j’ai parlé d’y mettre un drapeau québécois, on a froncé les sourcils et on m’a traité de séparatiste. Quelque chose me dit que tout autre drapeau n’aurait pas créé la même réaction. C’est bien beau un drapeau franco-ontarien, un drapeau catalan, un écossais ou un norvégien. C’est l’expression d’une belle culture et d’une grande identité dont est issu un individu… ou toute autre sottise du même genre.

Un beau jour, une collègue anglophone de parents grecs (elle disait qu’elle était grecque, comme une Grecque en Grèce) m’a quelque peu engagé dans une conversation traitant de sa nullité de la culture populaire québécoise (les personnalités médiatiques/les acteurs/les chanteurs/les écrivains). À vrai dire, elle n’y connaissait rien (mais elle avait entendu parler de Mitsou…). Malgré le trou béant qu’elle possède en ce qui concerne la connaissance de sa ville natale, dans sa tête, elle était une véritable Montréalaise, toute pétrie des clichés usuels et idiots des anglophones, comme de dire que les Québécois sont xénophobes et fermés sur eux-mêmes.

J’avais une autre collègue, une francophone/allophone de seconde génération hongroise vivant à Chomedey, sur l’île Jésus (Laval). Elle incarnait ce qu’appelle les médias une enfant de la loi 101, sans aucune affiliation à la nation québécoise. Comme la plupart desdits enfants, elle avait une vision complètement égalitaire de l’anglais et du français au Québec : utiliser l’une ou l’autre, ça lui était égal ! On prend le parcours le plus facile—après tout, toutes les langues sont pareilles, avec les mêmes capacités d’expression ! Malheureusement, la Chartre de la langue française—la loi 101 (les anglophones l’appellent toujours bill 101, même si un bill n’est qu’un projet de loi, et que la loi 101 a cessé d’être un projet de loi en devenant bel et bien une loi en 1977) n’a pas réussi à créer des néo-québécois francophones. Elle a plutôt créé des Canadiens bilingues vivant au Québec. Des gens capables d’interagir avec leur société d’accueil, au point de connaître les codes sociaux et non-verbaux des Québécois, mais refusant les grandes ambitions de cette société. Ce réflexe de colonisé qui célèbre et applaudit ceux qui méprisent leur société d’accueil (tels que le crétin sans intérêt Sugar Sammy), sans faire attention aux faits, leur donne la confiance du parti dominant par défaut. Ils regardent les Québécois comme conquis et mesquins. Nous commençons à peine à voir les limites d’un système démocratique dans un pays non hétérogène.

Et puis il y a eu Annabella, l’anglophone d’origine italienne, une grande fouineuse fatigante qui organisait ad nauseam des lunchs panini dans le bureau (elle célébrait sa culture !) ou ramassait de l’argent pour telle ou telle réunion sociale de travail, tout en y parlant un franglais chargé d’anglais un quart du temps et les 3 autres quart, en anglais. Elle se déclarait d’expression bilingue et me disait que les Montréalais appellent l’avenue du Parc Park Avenue. Un autre stéréotype montréalais se trouvait chez ce Chinois (qui venait vraiment de Chine), ronronnant toujours d’une voix chantante (en anglais) qu’il était impressionné que je puisse m’exprimer en français. Lui ne le parlait pas, évidemment. Or, voilà un cas de figure bien moins courant que celui du francophone qui passe son temps à s’autoflageller.

Une de mes collègues francophones, qui faisait beaucoup de fautes en anglais à l’oral et à l’écrit, tirait une grande fierté d’être en mesure de s’exprimer en anglais. Elle se considérait comme presque anglophone, car, ayant été une enfant à la santé fragile, elle avait passé beaucoup de temps à l’hôpital pour enfant de Montréal (un hôpital bilingue, c.-à-d. anglophone—au lieu d’être à Sainte-Justine, son homologue francophone et beaucoup plus grand). Dans sa tête, ceci avait fait d’elle une anglophone. Martin était un autre francophone soumis qui me vient particulièrement à l’esprit, lui qui écrasait ses origines francophones à la manière de Trudeau. Je ne sais pas si c’est plus triste ou plus enrageant.

Les angryphones sont de loin les plus comiques. Habituellement, quand on aborde le sujet du Québec ou de la langue française, ils deviennent si hystériques, conditionnés comme les chiens pavloviens, qu’on croirait que les francophones sont en train d’écorcher des chiots ou de torturer des chatons. Lors d’une de ces réunions de motivation d’équipe, quelques mois après les élections de 2012, mon collègue Mitch exultait sur l’ampleur du racisme au Québec qui vote toujours pour ce parti xénophobe (le PQ). Ceci m’a conduit à lui poser des questions sur sa propre intégration au Québec. Il m’a expliqué qu’il venait d’une génération qui ne faisait pas cela (c’est-à-dire : s’intégrer). D’accord, comme tu veux… et tes deux enfants ? Pourquoi ne les envoies-tu pas à l’école francophone pour ensuite leur parler en anglais à la maison ? Comme ça, ils seront mieux intégrés. L’horreur ! Il a dit qu’ils n’apprendraient jamais à lire et à écrire en anglais à l’école française—peu importe que notre collègue d’origine hongroise ait relevé ce grand défi presque insurmontable, ainsi que d’autres nombreuses personnes. De toute façon, il a entendu dire que les écoles francophones étaient inférieures à celles d l’English Montréal School Board.

Il y avait également Jim, banal et convenu, qui pouvait à peine cracher une phrase en français, mais qui dispensait des métaphores de pacotilles en anglais sur le hockey (« mettre la puck dans le filet »). Et c’est sans oublier cette espèce de sauvage de Ben, un genre de Homer Simpson qui voulait que madame Marois « souffre d’une mort atroce et horrible » ; ou encore cette affreuse femme ontarienne, qui vivait à NDG (c’est trop pour les anglophones de dire Notre-Dame-de-Grâce). Elle était tellement agressivement anti-Québec et anti-français! Pourtant, elle était mariée avec un de ces francophones auto-effaçant.

Le palme de tous les commentaires odieux de ce bureau revient à Nathalie. Plutôt dépourvue d’intérêt, cette Ontarienne était mariée à ce qu’elle appelait un « franco-américain » (quoique cela veuille dire—moi aussi, je pourrais passer pour un franco-américain, étant donné que la famille de ma mère vient du Québec et que j’ai grandi aux États-Unis). Elle se prenait très au sérieux, elle vantait même son éducation issue de l’Université Concordia (?) et son expertise dans le travail que nous effectuions là-bas. Quand le sujet de la protection du français en Amérique du Nord s’est présenté, elle a rétorqué d’un ton de sagesse profonde : « pourquoi ne peuvent-ils (les francophones) juste être bilingues ? » Elle avait déterminé qu’ainsi, ils disposeraient du meilleur des deux mondes. Elle n’avait malheureusement rien de sage à ajouter à son propre sujet, à propos, par exemple, de son occasion ratée de profiter du meilleur des deux mondes (elle ne parlait pas français non plus).

J’avais toutefois un faible pour Dorothy, une anglophone de Montréal-Ouest, 20 ans plus âgée que moi, mariée, avec un jeune fils. Nous nous entendions bien depuis le premier jour. Si nous avions travaillé ensemble à l’extérieur du Québec, il n’y aurait jamais eu vraiment de problème entre nous. Mais, lorsqu’il s’agissait de la question du Québec et du français, elle tombait néanmoins dans le même piège que la majorité des anglophones. Je lui reconnais cependant le mérite d’avoir essayé de le parler un peu, avec un gros accent et un vocabulaire risible. Elle envoyait son fils à l’école francophone et engageait une fille du quartier pour des cours de soutien en français le soir. Elle était moins centrée sur elle-même que les autres personnes de son acabit. Son mari du Nouveau-Brunswick était un chic type mais il tombait, lui aussi, dans le vieux cliché anti-francophone, évoquant des histoires à deux sous d’Acadiens qui, selon lui, « n’avaient rien à voir avec nous. » C’est sûrement une grosse exagération car on sait que les Acadiens sont presque tous bilingues (voire complètement anglicisés) et qu’ils ont l’habitude de vivre et de travailler avec des anglophones unilingues depuis 250 ans. Dans le fond, il n’était qu’un anglophone de plus, faisant partie de la culture de masse. Au final, qui a le plus mauvais bilan en ce qui concerne l’hostilité envers l’autre—les Acadiens ou les anglophones ?

Cela dit, je dois ajouter que les anglophones de Montréal ne sont pas fondamentalement mauvais en tant que personnes. Ce sont des gens ordinaires, qui essaient de joindre les deux bouts et de faire leur bonhomme de chemin dans ce monde moderne et trépidant. Pourtant, il est très évident qu’ils vivent dans une bulle. Si l’on exclut le fait qu’ils contribuent à la destruction lente, mais assurée, du Québec francophone (qu’ils en soient conscients ou non), ils ne sont qu’une population très ordinaire, telle qu’on la retrouve partout sur le continent nord-américain. Ils seraient chez eux partout en Amérique du Nord. Et les Québécois dans tout cela ? À part Montréal, quelle autre grande métropole est-t-elle LA métropole francophone d’Amérique ? Les anglophones ont leur culture de masse anglophone partout. Pourquoi se prennent-ils pour des gens exceptionnels et menacés par une nation de 7 millions d’individus quand ils sont plus de 300 millions ? N’est-il pas clair comme de l’eau de roche que ceux qui méritent protection et soutien, ce sont les institutions francophones ?

De plus, pourquoi ne s’intéressent-ils pas à leur environnement ? Ne se rendent-ils pas compte que Montréal, anglicisée, ne serait qu’une autre ville ordinaire nord-américaine ? S’ils tenaient véritablement à la valeur de la différence montréalaise, pourquoi ne contribuent-ils pas à cette différence, plutôt que de participer indirectement à sa destruction ? Ils râlent indéfiniment sur l’importance de la diversité et de l’acceptation de la différence. Ne voient-ils pas que la nation francophone en Amérique du Nord est une véritable diversité ?


Quiconque n’est pas un anglophone hystérique à Montréal, gueule écumante quand on lui parle en français, pourrait bien voir cela.

jeudi 22 octobre 2015

La langue française, parlée avec un accent anglophone au Québec



Au début de la vingtaine, je commençais à prendre beaucoup plus au sérieux mes études du français. À l’époque, c’était surtout dans l’idée de l’utiliser dans plusieurs pays comme langue véhiculaire. Plus tard, j’avais l’intention de continuer à m’en servir dans ma vie quotidienne. Étant donné que j’ai grandi aux États-Unis, je croyais qu’un déménagement au Québec serait idéal, surtout dans une ville comme Montréal.

Alors, je suis venu à Montréal en 2009. J’avais une amie de Saint-Bruno, sur la rive-sud de Montréal, qui fréquentait le groupe de conversation française à Minneapolis. Elle avait des problèmes dans sa vie personnelle et a décidé de rentrer au Québec vers le temps où j’y suis allé. C’est ainsi qu’elle est venue me chercher à l’aéroport. Je restais avec elle et sa colocataire (une de ses amies d’enfance) pendant deux semaines jusqu’à ce que j’aie trouvé du logement. Tout de suite, elle insistait pour qu’on se parle en anglais parce qu’elle ne voulait pas perdre ce qu’elle avait acquis aux États-Unis.

Cela m’a énervé énormément, mais je ne pouvais trop le montrer, car elle me dépannait lors de mon arrivée au Québec. Mon but principal, à part m’établir et trouver un emploi, c’était de parler français aussi souvent que possible, comme je faisais chez moi avec l’anglais. J’ai bientôt découvert que ce ne serait pas possible, non seulement à cause de ma formation aux États-Unis, mais aussi en raison de mon expérience professionnelle en tant que rédacteur en anglais—ce qui veut dire que, par défaut, mon anglais écrit sera toujours un peu plus fluide et sortira plus facilement que mon français. D’ailleurs, l’attirance mondiale de l’anglais est si forte. Tout le monde veut le parler parfaitement car c’est si merveilleusement international.

Je peux accepter que mon accent et mon français écrit ne soient jamais aussi bons que leur équivalent en anglais, mais cela ne m’empêche pas de vouloir parler en français aussi souvent que possible. Et puis, un bon matin, je serai capable de réfléchir et de concevoir mes pensées en français, ainsi que de rêver dans cette langue (à la manière qu’un non-anglophone prétend le faire après un long séjour aux États-Unis ou ailleurs dans la sphère anglophone). Inventer des idées et des concepts par le biais du français ouvrira les vannes dans mon esprit aux idées non harnachées que d’autres langues ne peuvent permettre. Je crois que chaque langue est porteuse d’une vision du monde qui permet certaines idées de se manifester. Il n’y a pas une langue commune porteuse de toute conception de l’esprit humain, peu importe sa polyvalence selon certaines personnes.

Tout cela était l’objet des frictions entre moi et mon amie. Elle m’a dit qu’elle aimait le Québec et que ses penchants au niveau de vote demeuraient du côté de la souveraineté – or, son état d’esprit bizarre face à l’anglais s’est maintenu. Ce n’était pas assez de le parler couramment. Si elle oubliait le moindre mot ou expression, l’horreur que cela lui faisait vivre lui faisait dire : « Tu vois ? Je perds mon anglais et j’ai travaillé si fort pour l’acquérir ! ».

D’accord, je peux comprendre son point de vue. Je me suis battu contre vents et marées pour tenter d’apprendre le français dans un petit village ouest-africain plurilingue, dans la France d’aujourd’hui, mondialisée et urbaine ou quand je vivais aux États-Unis. Mais je savais que c’est normal d’oublier certaines choses si l’on ne parle pas cette langue tous les jours ou si l’on vit dans un endroit où une autre langue s’utilise. Il ne faut qu’un effort supplémentaire afin de la maintenir. Pour ma part, j’allais à une rencontre de conversation française tous les samedis, j’écoutais des films francophones et je lisais des livres en français, tout en étudiant de nouveaux vocabulaires ici et là.

À part cela, ce qui restait de ma vie se faisait en anglais, principalement parce qu’on n’a pas le choix : chez les anglophones, ils ne parlent que l’anglais. En plus de cela, si l’environnement est anglophone, on s’attend rarement à ce que tout le monde parle une autre langue. On fait le contraire au Québec. Parler le français ne suffit pas. Quand l’occasion de parler l’anglais se présente, on s’y lance, même si l’autre personne désire pratiquer son français.

On a même déploré mon insistance à parler français en tout temps. On disait que c’était égoïste de ma part, qu’on a besoin de parler l’anglais au moins 50% du temps afin de s’enrichir l’un l’autre. On me dit cela chez les Québécois. Ne se rendent-ils pas compte qu’en dehors du Québec, personne ne leur dira – « Là là, tu dois me parler en français car c’est ton devoir de m’aider à pratiquer si tu t’attends au même traitement de ma part. » À l’extérieur du Québec, les gens vaquent à leurs occupations dans leur propre langue. Ainsi, si son but est d’améliorer notre anglais, c’est fort possible dans le contexte d’un pays anglophone.

Au Québec, du moins à Montréal, les gens ne font pas cela, au contraire. On m’a dit de quitter Montréal si je voulais seulement parler en français. D’abord et avant tout, si je faisais cela, c’est difficile de trouver un endroit au Québec où on s’exprime en français seulement. En Estrie, il y a une université anglophone et des tas des gens prêts à switcher la langue dès qu’ils entendent un accent. À Québec, même si c’est vrai qu’il y a des gens qui ne parlent pas anglais (et normalement ils disent cela comme si c’était la plus grande honte sur terre), c’est loin d’être seulement en français à Québec. En Outaouais, c’est très bilingue aussi. Il y a des anglophones en Gaspésie. Très franchement, c’est rare d’être « forcé » à utiliser la langue française.

Deuxièmement, la région montréalaise englobe la moitié de la population québécoise. Si la région métropolitaine se «  bilinguise » (ce qui signifie angliciser), à quel effet doit-on s’attendre sur le reste du Québec ? En plus, pourquoi la plus grande ville de la nation doit-elle être bilingue au niveau institutionnel ? Être bilingue devrait demeurer un choix personnel et non une exigence afin de faire quoi que ce soit au Québec. Dans une ville comme Oslo, la grande majorité parle bien l’anglais, mais il n’y a pas un discours prédominant visant à rendre la ville bilingue institutionnellement.

Peut-être qu’on pourrait dire qu’il n’y a pas de communauté historique anglophone en Norvège, alors que c’est le cas à Montréal, et c’est pourquoi cette ville doit être bilingue. Que dirait-on de Sudbury ou de Moncton ? Ces villes n’avaient-elles pas aussi des minorités francophones ? Au niveau des affaires courantes (et non dans une statistique quelconque du gouvernement canadien), ces villes fonctionnent en anglais, en dépit de ces communautés. La capitale canadienne, Ottawa, est en réalité une ville anglophone avec quelques francophones bilingues éparpillés ici et là. Parler français dans les rue et dans les magasins, et on vous dira d’aller au Québec pour cette langue !

Mais revenons à Montréal. J’étais frappé de voir à quel point le centre-ville est anglicisé. C’est sûrement dû aux deux universités anglophones situées en plein centre-ville ainsi qu’à la population de l’Ouest-de-l’Île (je n’étais pas au courant que celle-ci n’était pas bilingue, mais remplie d’anglophones unilingues). Je suis allé à la piscine du YMCA sur Peel et Maisonneuve et seulement les services de base étaient en français. Essayer de parler de quelque chose d’un peu plus compliquer que « bonjour » et « merci » (tel qu’avoir la bonne adresse sur son permis de conduire ou obtenir les heures de fermeture de la piscine) et ils répondent neuf fois sur dix en anglais. Demander qu’on vous répondre en français et il se peut qu’ils refusent, dépendamment de leur humeur. Une fois, il y avait un immigrant d’Haïti ou d’Afrique francophone qui refusait de me parler en français, et s’est montré très bête face à mon insistance. Il était probablement entiché de l’anglais et s’est dit qu’il parlerait seulement cette langue, comme j’avais beaucoup remarqué à Montréal. Mais il ne l’avouera jamais. Finalement, on a trouvé une dame québécoise d’âge mûr (la seule qui travaillait là-bas) pour me dire de m’en aller, mais au moins, elle l’a fait en français.

Imaginez maintenant que quelqu’un demandait qu’on lui réponde en français, avec le même accent que le mien. Croyez-vous qu’on le ferait ? Je ne sais pas lesquels sont les plus difficiles là-dessus, les anglophones de vieille souche ou les immigrants de deuxième et de troisième génération qui, malgré la loi 101, persistent dans leur habitude de me parler en anglais, même si leur français est meilleur.

Qui aurait cru que l’environnement linguistique pourrait être si compliqué ? Pourquoi les anglophones et les allophones ne s’intéressent-ils pas davantage au Québec et à sa langue ? Pourquoi sont-ils si fermés sur eux-mêmes ?

Plus important encore : pourquoi les francophones, surtout ceux à Montréal, ne sont-ils pas à l’aise avec leur langue de la même manière que leurs concitoyens anglophones ? Je suis pas mal sûr de savoir pourquoi, et vous ?

mercredi 7 octobre 2015

Que fais-je au Québec ?



Je suis né dans un petit village aux États-Unis. J’imagine que j’avais une vie assez typique nord-américaine. Pour faire court, j’irai droit à l’essentiel. Après l’école secondaire, je suis déménagé en ville pour faire mes études. Je ne savais pas vraiment en quoi, comme beaucoup de monde sans direction. J’avais une vague idée de faire quelque chose en rédaction, largement à cause de l’encouragement d’une professeure qu’à l’époque, j’estimais beaucoup.

Lorsque j’étais étudiant à l’université, je ne parlais pas encore français. Je l’ai étudié un peu à l’école secondaire, mais c’était surtout parce que je ne voulais pas suivre des cours d’espagnol comme tout le monde. J’ai donc choisi d’apprendre le français pour être différent à cet âge-là.

Pour revenir à mes années universitaires, j’avais une conception romantique des voyages que font les routards en Europe. Je voulais vivre le cliché bohème et voyager de pays en pays. À 20 ans, je n’avais pas la moindre idée que ce n’était pas original du tout. Je crois maintenant que l’idée de s’endetter afin de passer quelques mois en Europe vient des films et autres émissions de télé qui idéalisent ces voyages. Je n’avais aucune idée que je rencontrerais des dizaines de personnes, tout aussi peu originales que moi, dans les auberges de jeunesse, dans les bars, dans les autobus, dans les trains, dans les rues. Et moi qui croyais être unique ! Tout le monde parlait anglais et tout avait des apparences nord-américaines. Au fond, je me suis rendu compte que la mondialisation était en train de tout rendre pareil. Aussi, j’avais honte de n’être capable que de parler anglais.

Ensuite, j’ai décidé d’intégrer mon étude du français à mon horaire étudiant. Je me suis dit que j’allais apprendre le français dans l’idée d’aller vivre et travailler en Afrique francophone. C’est aussi à ce moment que j’ai commencé à m’intéresser à la francophonie hors de l’Hexagone. Je voulais aller au-delà des banalités du genre Jean-Paul Sartre qui résout les problèmes du monde au café parisien des Deux-Mégots.

À l’époque, mon intérêt pour le français reposait surtout sur le fait qu’il était parlé dans plusieurs pays et sur plusieurs continents. Ceci m’a mené en Mauritanie en 2004. J’y ai passé deux ans dans un petit village. Les gens y parlaient le Wolof, le Hassaniya et le français (pas tout le monde, car ce n’est pas tout le monde qui va à l’école). Ensuite, j’ai travaillé un an à Lyon en France. Pendant ces trois années passées à l’étranger, j’ai décidé d’entreprendre un projet ambitieux : émigrer des Etats-Unis vers le Québec. L’idée de vivre en français en Amérique du Nord m’a beaucoup attiré dès le départ. Je suis venu au Québec afin de faire partie de qui n’est rien de moins qu’un projet extraordinaire. En plein époque de mondialisation, je voulais vivre différemment. Ce n’est qu’un hasard – certes, un beau hasard – si la famille de ma mère tient aussi ses origines d’ici – mais de cela, je reparlerai une autre fois.

Pourquoi ai-je voulu venir au Québec ? Au fond, c’est parce que je trouve que les États-Unis n’ont plus d’identité qui leur soit propre, ni de culture. Oui, je sais, personne ne veut entendre cela et on me dira qu’il y a d’énormes différences entre les régions du pays. Bien sûr, ces différences existaient autrefois. Or, la manière de faire des grands centres, plus précisément la culture hégémonique de New York et de Los Angeles, a tout aplati par l’entremise des médias. Aujourd’hui, il ne nous reste plus qu’une culture de masse qui porte les mêmes valeurs et les mêmes références culturelles d’un océan à l’autre. Et ça, personne ne veut l’avouer.

Je menais une bonne vie avant. Mais je voulais quelque chose de plus. Quelque chose qui me permette de m’intégrer à un peuple en train de construire son être propre, et non de simplement reprendre quelque chose qui existe déjà ailleurs. C’est comme jeune adulte que j’ai pris connaissance de ce laminage culturel, dont les petits villages, comme le mien, et toutes les régions comprises entre Los Angeles et New York ont été victimes.

Bien sûr, le Québec n’est pas imperméable aux influences d’ailleurs, pour le meilleur et pour le pire. Mais à cause de la langue française, nous avons nos propres institutions et nos propres références culturelles. Cela favorise l’épanouissement de notre être, et confère une valeur unique à notre vision du monde. Et cela nous appartient.

Évidemment, ce qui nous appartient se partage avec les autres – les anglo-Québécois ou les nouveaux arrivants. Il ne leur faut que la volonté de s’intégrer à notre société. Le peuple québécois a créé quelque chose d’unique à son image, unique. Une société distinctement américaine, mais à nous, fer de lance d’une expression créatrice vivante et d’une richesse culturelle qui mérite d’être protégée et promue au bénéfice de tous.

Une fois arrivé au Québec, j’ai été déçu. J’ai été frappé par le fait que tout le monde voulait me parler en anglais, même si mon français est très bon. Bien sûr, j’ai un accent, mais qui n’en a pas? J’ai trouvé choquant de voir à quel point certaines personnes idéalisaient l’anglais et trouvaient que la langue française n’était pas adéquate comme véhicule d’expression des idées modernes. Dieu merci, tous ne partagent pas cet avis, mais je trouve que beaucoup de gens souffrent d’un grand complexe d’infériorité face à l’anglais. C’est très bien d’apprendre une autre langue (un euphémisme pour l’anglais), mais cela ne devrait jamais se faire aux dépens du français, la langue qui permet l’existence de la différence québécoise nord-américaine.

Les Québécois (comme les habitants de presque tous les pays) sont soumis à la culture de masse. Ils manquent de motivation, de confiance en eux. Ils se laissent bercer de l’illusion qu’ils peuvent survivre tout en restant les bras croisés, à se laisser endormir par la culture anglo-américaine de masse. Pour sûr, certains veulent que le Québec se réalise et devienne un État moderne, l’État d’un peuple instruit, dynamique et souverain, un peuple qui ose, plutôt que de devenir une attraction touristique pittoresque.

Je veux m’adresser ici à tous ceux qui ne sont pas indifférents, à tous ceux qui voient l’étincelle unique et créatrice qui anime le Québec moderne. Nous savons tous que la question nationale demeure en suspens, et qu’elle ne s’effacera pas tant qu’elle n’aura pas été réglée. En s’assimilant de plus en plus à la masse culturelle anglo-américaine, le Québec peut-il maintenir son potentiel de production intellectuelle et matérielle en terre d’Amérique ? Peut-on se bilinguiser en masse et s’attendre à ce que tout soit rose ? La question nationale requiert d’être étudiée avec plus de profondeur. On ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et les fesses de la fermière !

C’est pour explorer cette question dure (de mon point de vue d’étranger américain) et pour lutter contre l’anesthésie qui afflige nombre de Québécois que j’ai choisi de créer ce blogue.