mardi 5 janvier 2016

Que font les immigrants au Québec ?


Récemment, j’ai passé la fin de semaine à Montréal avec un couple d’amis venant d’un pays sud-américain. J’ai connu la femme pendant un stage que je faisais en France il y a plusieurs années. Son mari était venu lui rendre visite un jour : il était fort sympathique, mais il ne parlait que l’espagnol ce qui nous a limité les conversations que nous avons pu avoir. Elle, elle parlait couramment le français en plus de bien maîtriser l’anglais. Dans l’ensemble, nous nous sommes bien entendus et nous avons gardé le contact après le stage.

Quelques années plus tard, lors d’un passage dans leur pays, j’ai profité de l’occasion pour les revoir. Je savais qu’ils ne voulaient pas y rester, car les problèmes sociaux et économiques étaient nombreux—par exemple, la pénurie d’aliments de base comme le poulet. Je leur ai parlé de mon expérience du processus d’immigration en tant que travailleur qualifié. J’ai dit (ou plutôt je lui ai dit à elle, vu qu’on parlait en français) plusieurs fois qu’ils devraient envisager immigrer au Québec en tant que travailleurs qualifiés, car je pensais qu’ils s’y intégreraient facilement.

Ils ont complété et envoyé tous les documents du programme Travailleurs qualifiés sélectionnés par le Québec. Mais ses capacités linguistiques à lui n’étaient pas assez bonnes et leur dossier a été rejeté. Plus tard, elle s’est fait accepter dans un programme à l’Université de Montréal et a obtenu un visa d’étudiante ainsi que des papiers pour lui. Ils sont arrivés ici l’été passé. Je les ai rencontrés à l’aéroport et leur ai montré la ville. Je les ai accompagnés dans leur recherche d’un appartement. Ils ont fini par en choisir un dans Côte-des-Neiges. Ce n’aurait pas été mon premier choix point de vue intégration, mais c’est leur choix et non le mien.

J’avais de la misère à cacher un certain mépris pour l’appartement et surtout pour le propriétaire, un anglophone pure laine de Montréal qui me regardait comme un extra-terrestre quand je lui parlais français. La concierge était une vieille Portugaise qui parlait un mauvais anglais avec quelques mots de français. Je me suis dit : comment vont-ils s’intégrer avec une telle première impression de Montréal ? Oui, elle étudiera dans une université francophone, mais quoi dire de lui ? Je leur ai donné toute l’information nécessaire afin qu’il puisse s’inscrire aux cours de francisation qu’offre gratuitement le gouvernement. Il y en avait même un à deux coins de rue de chez eux.

Dans tout les cas, un an plus tard, il n’a pas encore appris à dire la moindre phrase en français—sans parler de son anglais de base à peine fonctionnel. À mes yeux, son français devrait avoir priorité. En plus, ils ont des voisins albertains et beaucoup de d’amis hispanophones. Elle m’a raconté que sa job à elle (à temps partiel) nécessite presque toujours de parler anglais. Quant à lui, il a trouvé une jobine dans une usine fabricant des boyaux de porc où il y a plusieurs hispanophones. Quand il doit parler aux non-hispanophones, il le fait dans son anglais approximatif. Il se plaint que les emplois ici exigent une connaissance du français et de l’anglais. Quoiqu’en dise Philippe Couillard, comment se fait-il qu’une personne travaillant dans une usine de boyaux doive avoir une connaissance fonctionnelle de l’anglais alors que nous vivons dans une société supposément francophone ?

Pour faciliter les choses aux entreprises, surtout quand les immigrants y sont nombreux, on les laisse faire ce qu’elles veulent—et cela ne comprend souvent pas l’usage du français au travail. Pourquoi les entreprises feraient-elles attention aux enjeux comme la communauté, la langue, le mode de vie et la société ? Je sais très bien que les entreprises ont pour seule mission de faire des profits. On a besoin de l’argent et ceux qui sont indifférents à la situation précaire du français à Montréal répondront tout simplement que ces migrants et ces immigrants s’adaptent à la situation actuelle afin de joindre les deux bouts.

C’est pour cela que mon ami se sent coincé ; en même temps, il ne fait aucun effort pour apprendre le français.

Je leur ai dit que ce serait peut-être mieux de déménager en Ontario ou ailleurs, où la situation linguistique est plus simple ; ils m’ont répondu que la qualité de vie à Montréal les attire et qu’ils aimeraient y rester. C’est déjà ça de pris pour le Québec ! Dans ce cas-là toutefois, je trouve que l’apprentissage du français est impératif pour lui. Continuer à vivre au Québec sans l’apprendre n’est pas sain. Ironiquement, s’il y a une certaine qualité de vie qui leur plaît à Montréal et que l’on ne trouve pas ailleurs, ça tient évidemment au fait français. Or, il me semble que c’est plutôt un Montréal où la langue française est marginalisée et folklorisée qui les intéresse véritablement. Quel illogisme ! Comment ne se rendent-ils pas compte que c’est le français qui rend Montréal et le Québec en général si exceptionnels ?! D’autre part, si l’anglais est si attrayant, le paradis sur terre n’est qu’à quelques centaines de kilomètres à l’ouest—ou à l’est, ou au sud, ou au nord ! Pourquoi ne pas s’y diriger? Pendant ce temps, mes deux amis jouissent de la seule société francophone en Amérique du Nord—une société qu’on ne peut observer nulle part ailleurs dans le monde—sans contribuer à sa préservation (à part payer des impôts…), ni favoriser son épanouissement. Qu’ils le sachent ou non, ils ne contribuent qu’à son anglicisation. Ne peuvent-ils pas voir cette grosse contradiction ?

Je sais que mes amis ne sont que le reflet de la réalité montréalaise actuelle. Les jobs sans lendemain n’exigent pas une connaissance du français ; cela leur donne l’impression qu’ils ne peuvent aspirer à rien d’autre que ce qui est leur est proposé dans l’immédiat. Mais où est l’initiative personnelle, bordel ? Où est la volonté à s’intégrer à la société d’accueil ? Pourquoi n’avouent-ils donc pas pourquoi ils sont réellement venus ici ? Au fond, leur choix n’avait rien à voir avec le Québec francophone. S’ils ont mis cap sur le Québec, ce n’était que par attrait pour le style de vie nord-américain. Ce n’est pas qu’un cliché—c’est mon ami que me l’a dit!

La question essentielle est celle-ci : si le Québec aspire non seulement à survivre, mais aussi à s’épanouir, comment peut-il se permettre d’accueillir 50 000 migrants par année, dont plusieurs ne sont pas motivés par le projet sociétal québécois, ni soucieux de le préserver ?

Et je ne sais plus quoi dire à mes amis, car ils ont raison quand ils insinuent qu’apprendre le français ne vaut pas la peine—ils n’en ont pas besoin pour accomplir leur travail actuel. Je crois qu’ils comprennent qu’en général, on a besoin de bien parler français (et anglais) pour avoir un bon emploi au Québec—mais est-ce vraiment le cas ? Je me souviens que, lorsque je suis arrivé, j’ai décroché un bon emploi au centre-ville, près de Peel et de Maisonneuve. Y parler français était supposément un atout, mais ce n’était au fond pas réellement nécessaire. Les projets se déroulaient essentiellement en anglais au sein d’équipes composées d’énormément d’anglophones unilingues, surtout issus de l’immigration grecque ou italienne de 2e ou 3e génération (souvent hostile au français) et clairsemées d’immigrants chinois, thaïlandais et philippins anglicisés.

Je sais par expérience que le français n’y était pas nécessaire, voire qu’il était parfois mal vu de demander aux autres de le parler. Je me souviens qu’une fille noire, dont les parents étaient originaires du Nigéria, en Afrique, avait déclaré avec suffisance lorsque je m’étais affiché comme nationaliste québécois : « Ah, c’est ça, tu me haïs… ». Je trouve qu’au Québec, on crie vite à la « haine » dans l’espoir de faire celui qui a raison, et surtout, pour tenter de masquer son propre sentiment anti-français et anti-Québec. « Oh, c’est du mépris, tu n’as que de la haine pour moi. Tu es borné, raciste et antisémite, et tu ne parles même pas anglais ». 

Franchement, ces allégations clichées et ces insultes qui ne servent qu’à faire taire l’autre personne, est-ce que ça fonctionne toujours ?

En fait, ce n'est pas parce qu’elle est noire ou parce qu’elle est anglophone que j'ai un problème avec elle—simplement parce qu’elle est dit des sottises.

Revenons au sujet de cet article : la raison pour laquelle je suis venu ici au Québec, c’était pour contribuer au fait français. Je veux que Montréal et le Québec soient aussi francophones que possible. À cet égard, comment peut-on espérer qu’une personne issue d’un pays plus pauvre économiquement et qui ne parle pas français veuille l’apprendre alors qu’elle ne pense qu’à combler ses besoins de base, comme se nourrir, se vêtir et s’amuser avec des trucs de merde fabriqués en Chine?! Si une connaissance approximative de l’anglais peut combler ces besoins vulgaires, pourquoi prendre la peine d’apprendre le français et s’intégrer à une culture unique –qu’on prétend pourtant par ailleurs aimer ? Dans cette espèce d’environnement multiculturel qui favorise la médiocrité et qui leurre les individus dans la croyance qu’ils sont des citoyens du monde (essentiellement le mensonge alléchant d’une anglophonie mondaine), il est facile de comprendre les actions des migrants et des immigrants d’aujourd’hui.

Peut-être avez-vous déjà deviné que je regrette maintenant de leur avoir dit de venir ici. Ils sont tous les deux de bonnes personnes. J’ai seulement été naïf de croire qu’ils auraient le même intérêt pour le Québec et pour la société francophone nord-américaine que moi. Malheureusement ce n’est pas le cas. Comme la majorité des migrants et des immigrants, ils choisissent de quitter leur pays d’origine d’abord et avant tout dans l’espoir de trouver ici de meilleures conditions de vie, et non pas dans l’optique de s’intégrer à leur société d’accueil. Souvent, ils ne parlent pas français et s’ils speak white, c’est dû au fait que speaking white est speaking money.

Je ne dis pas non plus que ces migrants et que ces immigrants finiront par être riches, ni que leurs vies seront faciles. Et je ne veux pas non plus qu’ils quittent le Québec en masse. Ce que je veux, c’est qu’ils s’y intègrent. Je veux qu’ils parlent français. Je veux qu’ils contribuent à la société québécoise, et pas seulement en payant des impôts et en faisant des bébés. Dans un Québec fort et francophone, des gens de tous les pays sont bienvenus, pourvu qu’ils soient motivés à contribuer à la construction du Québec. Je sais que nous sommes des individus, mais l’individualité extrême n’a pas sa place, pas plus que l’attitude je-m’en-foutiste qui l’accompagne.

Allez-y : accusez-moi d’être raciste !