Bien que ma mère m’ait élevé selon les rites catholiques (Novus Ordo), j'ai toujours eu tendance à classer dans la même catégorie que toutes les sectes protestantes (luthérienne, presbytérienne, baptiste, etc.), le catholicisme et l'orthodoxie orientale. Depuis mon adolescence, j'avais l'impression que les croyants étaient mêlés dans leurs idées.
Quelques années plus tard, j'ai déménagé au Québec et j’ai observé une hostilité plutôt forte envers l'Église catholique ici. Je n'y ai pas trop réfléchi et j'ai passé mes premières années à m'occuper de ma propre intégration. Ensuite, j'ai rencontré un groupe de catholiques traditionnels avec qui je suis devenu ami. Lorsque j’ai parlé d’eux à d'autres personnes, on m'a dit que c’étaient des extrémistes complètement dingues. Ces commentaires provenaient habituellement de gens associés à la gauche américanisée, qui parlaient d’eux comme du groupe le plus haineux, fermé sur soi et stupide qui existe — juste après les « skinheads ».
Absurdité totale.
Cette situation m’a fait penser aux bases catholiques de la croyance en Dieu et à ce que je voyais des gens plus athées, comme les « New Atheists », le nom donné aux idées promues par des auteurs anglophones athées défendant l'idée que « la religion ne devrait pas être simplement tolérée mais devrait être contrée, critiquée, et exposée à des arguments rationnels à chaque fois qu'elle apparaît ». Considérant la base historiquement catholique du Québec et les tendances sociales actuelles, je voulais analyser le point de vue catholique sur l'existence de Dieu afin de voir si les étiquettes calomnieuses que tant de New Atheists et leurs semblables attribuent aux traditionalistes, aux nationalistes et aux catholiques.
Beaucoup de catholiques que j'ai rencontrés sont des gens instruits et bien articulés. On leur demande souvent comment ils peuvent encore croire en Dieu quand ils sont allés à l'université et qu’ils ont lu Nietzsche et Sartre. Ils m’ont dit que, quand on efface Dieu, seules les lois de la logique et de la raison demeurent. Mais celles-ci s'effondrent rapidement quand on abandonne l’idée de la Vérité absolue. En appuyant sur une vérité relative, notre pensée sombre dans le solipsisme et le narcissisme.
Je pense que Nietzsche avait raison de souligner dans ses analyses plus aphoristiques que lorsqu’on se débarrasse de Dieu, on a tendance à voir apparaître des apologistes athées comme les New Atheists (Richard Dawkins, Sam Harris, Christopher Hitchins). En fait, Nietzsche dit qu’en réalité, ces types sont pires que les chrétiens. Il se moque même des athées de visage blême qui ressentent le devoir de convertir tout le monde à la vérité. Il dit essentiellement, dans « Par-delà bien et mal » et « Ecce homo », ceci : « selon vos propres conditions ou votre vision du monde, il n'y a pas de vérité absolue. Donc, vous n'êtes vraiment qu'une version plus caricaturale du prédicateur chrétien ».
Nietzsche place souvent les choses dans le cadre du maître et de l’esclave. Les élites étaient parmi les maîtres et le christianisme, selon Nietzsche, attirait particulièrement les plus faibles d'esprit de la société. C’était fondamentalement une moralité d'esclave. Il est mauvais d'imposer une moralité à quelqu'un d'autre et quiconque accepte une morale extérieure est faible d'esprit. Cependant, si j'accepte cette idée d'être un übermensche fort et non un chrétien faible, ne m'impose-t-il pas cette idée de moralité ? Dans son esprit, il n'y a pas de vérité universelle absolue. En d'autres termes, Nietzsche retombe sur le pragmatisme (faire ce qui fonctionne à court terme). Si seulement les esprits faibles acceptaient les moralités imposées, il s'ensuivrait que je devrais rejeter la vision du monde de maître-esclave que Nietzsche m’impose.
Nietzsche a également influencé l'existentialisme de Jean-Paul Sartre avec l'idée que quiconque a une moralité qui lui est imposée est l’esclave. Encore une fois, si j'accepte l'existentialisme de Sartre, alors je permets à une personne de m'imposer une position morale. Alors, comment ne pas toujours être de mauvaise foi ? Comment ne pas être encore un esclave dans cette vision du monde ? Une grande partie de cela est en fait un appel à la fierté de l'homme qui pense être meilleur que les autres. Peut-être sera-t-il meilleur que beaucoup d’autres à certains égards, mais il aura toujours ses limites. Il sera toujours humain. Il n’est pas l'übermensche ni un dieu.
Mais cette vision du monde est-elle dénuée de tout fondement ? Qui s’intéresse la plupart du temps à Nietzsche, à Sartre ou aux New Atheists ? Ce sont souvent des jeunes de 18 à 22 ans, qui traversent une phase de leur jeunesse. Mais de ces phases de jeunesse émerge-t-il une vision du monde significative ? De ce que je peux voir, une partie de la puissance de la théologie catholique/orthodoxe est qu'elle fournit une vision du monde, et donc, une base pour la compréhension des trois branches de la philosophie.
- L’épistémologie (comment nous savons des choses dans le monde)
- La métaphysique (ce qui est réel et ce qui n'est pas réel)
- L'éthique (ce qui est bien et ce qui est mal, la vertu contre le vice)
J’essaie de comprendre comment mes amis catholiques voient les New Atheists (qui sont, à mes yeux, les nouveaux Nietzsche/Sartre de nos jours). Il faut regarder ce qu’offre la vision du monde athée et voir si elle peut donner des explications cohérentes en regard des trois branches philosophiques. Normalement, l’athée/matérialiste se moque des catholiques sans tenir compte de ses propres hypothèses. Dans mon processus d'investigation de leur argument pour l'inexistence de Dieu, je vais voir s'ils peuvent expliquer leur point de vue.
Cela signifie de remettre en question nos hypothèses, étant donné que nous interprétons le monde à travers ces paradigmes. Jusqu'à ce que nous remettions en question nos paradigmes, nous avons tendance à interpréter les soi-disant faits ou evidences en notre faveur. Parfois, certains intellectuels parviennent même à construire des arguments efficaces pour communiquer certaines vérités (par exemple, une critique du féminisme, de la théorie du genre ou du multiculturalisme), même si lesdits arguments reposent sur des paradigmes ou des présupposés faibles (ou faux). Il faut regarder la vision du monde athée et juger si elle est cohérente.
Quand on entame un débat, on présume des lois communes de logique, de rationalité et de cohérence qui guident le débat, c’est-à-dire que les théistes et les athées acquiescent à l'existence des lois et des principes logiques réels. S'ils ne croient pas aux lois logiques et à la cohérence, alors il ne peut pas y avoir de débat.
Simplement lancer des « faits » ne mènera nulle part. C’est parce que les « faits » ne sont pas bruts. Il n'y a pas de fait qui ne fasse partie d'un contexte d'interprétation. L'idée de « faits bruts » est une idée des Lumières et un aspect du scientisme. Pour débattre et discuter, les théistes instruits utiliseraient un argument de reductio ad absurdum – un argument tiré de l'impossibilité du contraire - ainsi qu'un argument transcendantal. Ceux dans le débat comparent les points de vue des deux côtés pour juger lequel est cohérent et lequel est contradictoire.
Les New Atheists sont devenus très populaires sur l’internet (selon moi, parce que ces idées sont répandues par l’entremise de slogans et d’une rhétorique émotionnelle). Ces moyens sont beaucoup plus efficaces pour influencer les masses vers un matérialisme réductionniste et une évolution mystique que vers une analyse méthodique et cohérente. La première chose est de regarder la position de l'athée et de voir ce qu'elle offre en ce qui concerne l'épistémologie (la connaissance), la métaphysique (ce qui existe et ce qui ne l'est pas) et l'éthique (ce qui est bien et mal). Cela revient essentiellement à ceci:
L’épistémologie –
Nous pouvons seulement faire confiance à ce que nous disent nos cinq sens. Les données de sens empiriques constituent le moyen le plus fiable d'interpréter et de comprendre le monde dans un sens probabiliste. Il n'y a pas de certitude absolue et aucune revendication universelle n'est possible. Nous ne pouvons avoir que des approximations (quelque chose que Bertrand Russell énonce plusieurs fois dans « L'esprit scientifique et la science dans le monde moderne »).
La métaphysique –
Il n'y a pas de métaphysique. Elle est rejetée. Cependant, on prétend généralement que la réalité n’est que la matière en constante évolution (ce qui est une affirmation métaphysique, en passant...).
L’éthique –
Ici, l'athée se tourne vers une certaine forme d'humanisme laïque, peut-être le Manifeste humaniste, comme source d’inspiration de nouvelles formes d'éthique, comme ce qui est socialement accepté.
En bref, c'est ce que la vision du monde de l'athée matérialiste peut apporter au monde.
Souvent les apologistes catholiques se servent d’un argument transcendantal, qui est une forme logique réelle donnée d'abord par Aristote. Quand les sophistes lui ont demandé comment il pouvait savoir que les lois de la logique sont vraies si l’existence même de ces lois est mise en cause ? Aristote les réfute en montrant que les lois de la logique ne sont pas empiriques, qu’elles ne peuvent donc pas être réfutés empiriquement (c’est-à-dire via les cinq sens).
Aristote donne un argument transcendantal (livre 4 de sa Métaphysique) et dit que l'argument des sophistes est fautif. Pour nier l’existence des lois de la logique, le sophiste entre dans le débat en présupposant déjà l'existence des lois logiques, invariantes et immatérielles, ainsi que publiques, communes et universelles. Donc, il utilise les lois logiques dans l'acte même de rejeter ces lois logiques. Par conséquent, la logique et ses lois existent.
Cette idée a été reprise plus tard par les Pères de l'Église orthodoxe comme Saint Jean Damascène. Kant essayait d'utiliser des versions de cet argument à d’autres fins. Des linguistes modernes s’en sont également servis, comme Karl-Otto Apel, qui a fourni des arguments transcendantaux intéressants sur la langue.
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Revenons aux New Atheists et à leur vision matérialiste du monde, et prenons un peu de recul pour voir si leur position peut fournir la moindre possibilité de connaissance.
L’épistémologie –
La connaissance est empirique, nous pouvons seulement savoir ce que nous savons à travers les cinq sens. L'affirmation selon laquelle « nous ne pouvons que savoir ce que nous savons par les données sensorielles » n'est pas elle-même quelque chose que l'on peut apprendre par les données sensorielles. Aucune quantité de données sensorielles ne peut communiquer cette proposition universelle que nous ne connaissons les choses que par des données de sens.
De plus, si la proposition empirique est vraie, alors le soi qui fait ces arguments empiriques n'a pas une vision empirique du soi. Je ne peux vérifier l'existence du moi, ni vérifier empiriquement que c'est le même moi que j’étais il y a dix ans. On peut croire qu’on est la même personne au cours du temps, mais quelle est la preuve empirique de cela ? S'il est rationnel de croire que le soi existe, par le simple fait d'entrer dans une conversation significative en utilisant une langue (propriétés linguistiques immatérielles), cela tient pour acquis qu'il existe un soi qui véhicule cette connaissance.
Il y a beaucoup de choses que les gens croient qui ne peuvent être vérifiés empiriquement, mais qui demeurent rationnelles. Alors, comment savons-nous qu'elles sont vraies ? Nous le savons grâce à l'impossibilité du contraire. Si je doute de l'existence du moi et renie le moi, alors je suis fondamentalement dans une sorte de solipsisme. Si vous y croyez, vous avez perdu le débat, parce que vous ne croyez plus en un domaine commun d'argumentation logique. L'argument présuppose des lois logiques communes. Les données de sens empiriques ne peuvent pas prouver une loi logique, ni ne peuvent valider la raison, ni ne peuvent prouver des entités ou des objets mathématiques.
La métaphysique –
Les athées estiment qu'il n'y a pas de métaphysique. Elle était une superstition médiévale stupide et que nous avons depuis eu des intellectuels comme Locke, Newton, Galilée et Darwin ainsi que la révolution scientifique. Tout est en évolution continuelle.
Tout d'abord, la déclaration ci-dessus est elle-même une revendication universelle (métaphysique). Comment démontrer empiriquement une revendication universelle ? David Hume a dit que les prétentions universelles présument des universaux, ce qui nous ramène à la métaphysique – qu’ils rejettent. L'empirisme ne peut cependant fournir des revendications universelles, parce qu’on aurait à être omniscient.
Puisqu’ils croient que tout est dans un flux évolutif, alors la position qu’ils ont prise dans leurs esprits était simplement le résultat d'un processus chimique déterminé. Ce n'était pas la conscience d'un soi réel délibérant librement entre des positions et venant à la vérité et évitant le mensonge par la rationalité. C'était un processus chaotique, insignifiant et aléatoire. Donc, ils croient que toute la réalité n'a pas de sens ; que tout n'est que chaos et mouvement perpétuel.
Cela signifie que leurs vies ne sont que chaos et mouvement perpétuel, donc une réaction chimique déterminée qui est donc dépourvue de sens. Cela signifie que leurs arguments ne sont qu'une réaction chimique déterminée et sont donc sans signification. Cela signifie que les phrases qui sortent de leurs bouches lorsqu’ils essaient de réfuter le christianisme ne sont, de leur propre aveu, qu'une réaction chimique déterminée et qu'elles n'ont donc aucun sens.
L’éthique –
Dans cette position, l'éthique est impossible.
Pour dire que quelque chose est bon ou mauvais, cela exige une référence universelle par laquelle on peut porter un jugement. Cependant , dans la position athée/matérialiste, il n'y a pas de normes universelles, tout est assujetti à l'évolution, y compris les réalités immatérielles, les principes invariants et les lois et les revendications morales – tout cela est évolutif. Comment sait-on que quelque chose est mauvais ? On ne peut pas le savoir. Peut-être que l’on n’aime pas quelque chose, mais il faut comprendre qu'il y a une différence entre la prétention de ne pas aimer quelque chose et l'affirmation selon laquelle quelque chose est moralement mauvais. Le premier est un jugement de valeur universelle et le second, une simple question de goût.
C'est pourquoi le Manifeste humaniste ou l'idée selon laquelle « la morale est une construction sociale » n’ont aucun sens. Admettons que la société déclarait que tous les athées devraient être mis à mort. J'imagine qu’un athée dirait que cela est mauvais. Mais si son affirmation est que la morale n’est qu’une construction sociale, il n’a aucune raison de dire que c'est faux. Il pourrait ne pas l'aimer, mais cela n'aurait rien à voir avec le bien ou avec le mal.
Une chose que les New Atheists adorent dire, c’est que la science est vraie qu'on le veuille ou non. Mais deviner quoi ? Les principes logiques objectifs sont vrais, qu’ils le veuillent ou non. En d'autres termes, on doit être cohérent. Les arguments qu'ils ont voulu utiliser pour réfuter le christianisme, les affirmations avec certitude, la connaissance des lois logiques, les principes universels – ces choses ne peuvent même pas exister dans leur vision du monde et il n'existe aucun moyen de savoir comment elles existent. S’ils demandent au chrétien de rendre compte de ses opinions, alors ils doivent faire de même. Peut-être n’aiment-ils pas ce que le chrétien leur dit, mais ses propos sont au moins cohérents.
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La position chrétienne/catholique n'est cependant pas seulement intellectuelle. Le rapprochement de Dieu n'est pas uniquement un tas d'équations. La seule façon d'interpréter correctement le monde est par la pénitence. Il faut régler nos cœurs et nos esprits et vivre conformément à la loi divine. Donc, en d'autres termes, il n'y a pas de syllogisme ou de problème mathématique qui prouvera Dieu, jusqu'à ce qu’on se détourne de son égoïsme et de son adoration de soi.
Les catholiques traditionnels sont souvent étiquetés à tort comme des promoteurs de discours de haine et d'extrême droite. Cependant, leur vision du monde est rationnelle et cohérente et leur critique montre que la connaissance elle-même est impossible dans la position athée. La métaphysique est un non-sens (alors qu'ils présument des vérités métaphysiques en même temps qu’ils nient des vérités métaphysiques) et l’on ne peut fournir une base cohérente pour l’éthique. Alors, pourquoi devrait-on même écouter les New Atheists ou même les justiciers sociaux incohérents lors d'une contre-manifestation dans la rue alors qu'ils brisent des fenêtres et détruisent des biens publics ?